Non, il ne s’agit pas ici du “plat pays qui est le mien”…
Nous allons en revanche commencer avec cet article à examiner un certain nombre de mythes modernes au sujet de la nature qui à la fois fondent la science écologique et servent de support à de nombreux discours écologistes et de protection de la nature. Pas pour les dénoncer mais simplement pour en avoir conscience et comprendre les limites de nos connaissances et de notre compréhension du fonctionnement de la nature, les limites de notre pouvoir d’agir en vue de protéger celle-ci, les erreurs aussi qu’en tant que décideurs ou gestionnaires de projets de conservation de la nature nous sommes amenés à commettre du fait de ces limites et de nos croyances. Je parle donc ici de « mythe » non pas en tant que récit légendaire ou d’allégorie philosophique, mais en tant que paradigme, donc de représentation fatalement simplifiée que nous avons de la nature, déformée et amplifiée par notre culture, les médias (fussent-ils spécialisés), notre imaginaire collectif, etc, et qui en font une croyance particulière à laquelle nous pouvons adhérer librement ou bien dont nous pouvons nous défaire, ou au contraire être inconsciemment prisonniers.
Les quatre premiers mythes que nous allons explorer sont décrits par (et traduits de) Lance Gunderson et Crawford Stanley Holling dans leur ouvrage “Panarchy : understanding transformations in human and natural systems“[1] dont vous pouvez télécharger un abrégé en français sur cette page. Chacun de ces mythes conduit à différentes hypothèses concernant la stabilité, les différentes perceptions des processus qui affectent celle-ci, et les différentes approches consécutives de l’intervention de l’homme sur la nature.
Dans la première caricature de la nature que nous examinons aujourd’hui (je cite Gunderson et Holling dans ce qui suit), le terme “plat” indique un système dans lequel il n’y a pas ou très peu de forces affectant la stabilité. Il existe donc peu de limites aux capacités de l’homme à modifier la nature. Il n’y a pas non plus de rétroactions des systèmes naturels en conséquence des actions de l’homme. Tout se passe comme si on faisant rouler une balle sur un support horizontal et uniforme (cf figure ci-dessous). Les processus qui affectent la position de la balle, c’est-à-dire l’état de la nature, sont aléatoires et imprévisibles (en gros, c’est la loterie !). Dans une telle vision de la nature, les politiques sont elles aussi aléatoires, décrites comme des politiques “poubelles” (garbage can policies) par March & Olsen (1989)[2] et Warglien & Masuch (1996)[3].
Représentation du mythe de la nature plate
paysage de stabilité (à gauche) et diagramme de phase (au centre) – trajectoire des variables clefs du système au cours du temps (= courbe d’évolution temporelle) à droite – source : Gunderson & Holling, 2002.
C’est une nature qui est extrêmement malléable et disposée au contrôle et la domination par l’homme, à condition de bien s’y prendre et avec le bon timing. Les enjeux de l’utilisation, du développement et du contrôle des ressources sont identifiés comme des problématiques liées exclusivement à l’action de l’homme et ne pouvant en conséquence être résolues que par l’activisme d’une communauté ou le contrôle par les parties prenantes. On peut voir aussi la nature selon cette conception comme une corne d’abondance où la connaissance et l’ingéniosité humaines pourront toujours surmonter tous les obstacles pour continuer à consommer les ressources selon une croissance exponentielle. Les besoins de l’homme en termes de ressources naturelles restent donc sous contrôle, sans trop de soucis pourrait-on dire : « on se débrouillera toujours ! ».
Une telle vision d’un monde plat, avec de nombreux facteurs aléatoires qui par définition ne sont pas connus et dans laquelle la perception du risque environnemental pourrait se traduire par “ce que vous ignorez ne peut vous causer des ennuis” n’est pas nécessairement fausse ; mais elle est forcément incomplète et repose sur une foi (on y vient !) assez aveugle sur les progrès scientifiques et technologiques, même si on ne peut enlever à l’homme son ingéniosité comme force puissante pour le changement et l’adaptation.
Après le mythe de la nature plate, je vous donne rendez-vous un peu plus tard pour parler de celui de la nature en équilibre…
Crédits photos – image à la une : © Galyna Andrushko, Fotolia.com – image dans l’article : © Koklanchikov, Fotolia.com
[1] Gunderson L. & Holling C.S. (2002). Panarchy : understanding transformations in human and natural systems. Island Press, Washington–Covelo–London.
[2] March J.G. & Olsen J.P. (1989). Rediscovering institutions. Free Press, New York.
[3] Warglien M. & Masuch M. (1996). Garbage can models of decision making. In The logics of organizational disorder. W. de Gruyter, New York.